Autodafés et bibliocauste : on détruit bien des livres
Les solutions encore imparfaites
Il existe bien moyen pour les livres d'esquiver la broyeuse : le don. Toutes les maisons d'édition déclarent le pratiquer... mais avec parcimonie. Avant d'envoyer leurs livres vers une mort définitive, certaines font donc le choix d'en offrir à des associations, souvent étrangères. La maison d'édition Quæ « travaille avec ESF 78 car ils prennent tout et les diffusent beaucoup dans les bibliothèques africaines, explique Pascale Desmoulins. J'ai déjà travaillé avec Bibliothèque sans frontières, mais il faut d'abord envoyer une liste, puis ils vont dire combien d'exemplaires de chaque titre ils souhaitent. Pour nous derrière, cela se traduit par beaucoup de gestion et pour des livres qu'on donne, on ne peut pas se permettre de perdre trop de temps. » Mais ces dons posent plusieurs questions. « Trier représente un coût pour les éditeurs qui, de surcroît, tueraient le marché commercial en donnant gracieusement des livres à des clients habituels », complète Vincent Monadé. Une partie des professionnels du secteur ne voient pas d’un très bon œil ces dons. « Si on était contraint au don, alors ce serait le début d’une lente agonie pour les ventes de livres neufs. », s'exaspère un éditeur. « L'Afrique n'est pas la poubelle de la France », clame une bénévole d'association. En effet, pourquoi les livres qui n'ont pas plu en France, plairaient dans un autre pays ? Et puis, « rien ne sert d'envoyer en Afrique des livres qui ne seront pas lus car ils ne correspondent pas aux programmes scolaires ou aux besoins locaux », indique le président du Centre National du Livre (CNL), Vincent Monadé. Emmaüs reconnaît même à demi-mot que face à la montagne de livres reçus, l'association fait parfois elle-même appel aux pilonneurs !
Autre solution évoquée, pour éviter le pilon de masse, en particulier part les lecteurs : le solde des livres ou la vente à prix cassé à des enseignes de destockage et hard discount. Une idée qui plaît évidemment aux lecteurs mais dans laquelle la quasi totalité des acteurs de la chaîne du livre est perdante. Certaines petites maisons d'édition tentent alors leur chance en revendant à des prix dérisoires leur stock pour éviter une perte sèche. Ce solde leur permet d'éviter un pilon anti-économique autant qu'anti-culturel. « Si on doit faire un destockage total d'un titre, j'essaie de trouver des destockeurs mais ils ne prennent que les titres grand public. Ils vont me racheter les livres pour trois fois rien mais c'est toujours mieux que zéro euro », confie Pascale Desmoulins. Ces destockeurs rachètent les ouvrages pour ensuite les revendre sur le marché de l'occasion, en particulier sur des sites comme le fameux Rakuten. Dès lors que l'on voit qu'un vendeur propose en plusieurs exemplaires un livre neuf, on peut en conclure qu'ils les a sauver du pilon. « Mais on ne peut pas faire ça sur du destockage partiel car ce destockage risque de faire concurrence au neuf », souligne la responsable de l'administration des ventes de l'Éditions Quæ. Alors pourquoi ne pas solder ? La loi Lang s'assouplie avec le temps : les livres édités depuis plus de deux ans et dont le dernier approvisionnement remonte à plus de six mois peuvent être soldés. Mais les éditeurs n'ont jamais été favorables au solde. « Avant, il y avait des soldeurs puissants chez lesquels les particuliers pouvaient chiner et même des libraires de province s'y approvisionnaient. Puis dans les années 1990, il y a eu Maxi-Livre, avec une carrière éclair, explique Olivier Bessard-Banquy. Mais le solde n'a jamais été très positif car les amateurs de livres vont un peu partout et quand ils vont chez le soldeur ils voient les marques qui sont dégriffées. Donc quand ils ont l'habitude de voir des livres d'une telle maison qui sont à prix cassé, ils se disent qu'ils ne vont pas acheter les nouveautés mais attendre qu'ils soient soldés. » Ainsi, casser les prix des livres décourage l'acte d'achat et vient ternir l'image de marque de la maison d'édition. « La grande période du solde est passée parce qu'avec le développement d'internet, la possibilité de trafic sur les réseaux s'est tellement accru que les éditeurs sont encore plus méfiants qu'avant. Jamais on ne trouvera soldé massivement du Gallimard, du Grasset, du Albin Michel ou du Flammarion », ajoute le chercheur.
Impression sur mesure, est-ce le futur ?
L'impression à la demande se développe dans de plus en plus de maisons d'édition. Plus besoin de tirer inutilement des ouvrages par milliers, cette méthode permet d'imprimer pour des quantités minimes. Elle a ainsi fait l’objet d’investissements récents par les leaders de la distribution - comme Interforum, filiale de distribution d'Editis et Hachette Distribution – avec l'objectif de réduire les stocks coûteux en diminuant les flux de retour et par conséquent le pilon. Éric Levy, président d’Interforum, présente Copernics, invention au nom original, comme leur garantie d'équilibre entre « produire trop ou trop peu. » Interforum a donc installé trois presses numériques, dans ses entrepôts parisiens, qui peuvent fabriquer jusqu’à 10 millions de livres par an, soit 10 % du volume annuel du distributeur. Ils n'ont donc même plus besoin de passer par un imprimeur. Cette solution permet au distributeur de travailler « en flux tendus » : les livres ne sont imprimés qu’une fois vendus et commandés par le libraire. Ainsi, plus de retour possible, plus de livres qui traversent plusieurs fois la France inutilement et plus de pilon. Chez Hachette, leur Copernics s'appelle plutôt Ritméo, un nom différent pour un combat similaire. Meilleur que tous les techniciens, il « pilote de manière automatique les réimpressions de chaque titre pour que le stock soit en permanence à son niveau optimal compte tenu du profil de l’ouvrage et de son historique de vente », indique le groupe. Les petites maisons d'édition y trouvent aussi leur bonheur. L'impression à la demande permet d'avoir un catalogue d'ouvrages toujours plus importants. « Pour les titres anciens avec une cadence de vente qui commence à s'essouffler mais qui ont encore un peu de demande, on va le passer en impression à la demande. Donc zéro stock, zéro retour du libraire et une œuvre toujours disponible », se réjouit Pascale Desmoulins. Et contrairement à ce que l'on pourrait penser, le coût de fabrication ne revient pas plus cher en impression à la demande qu'en grand tirage. Il est d'un centime par page, sauf pour les livres en couleurs où le tarif se multiplie par dix. C'est pourquoi, les maisons d'édition ne peuvent se permettre d'imprimer à la demande ce type d'ouvrages. Alors pour le client ce n'est pas plus cher mais il doit faire preuve d'un peu de patience car il ne peut pas aller en librairie et repartir directement avec son livre dans la poche.
« L'impression à la demande c'est l'idéal », selon Pascale Desmoulins. Oui mais pas pour tout. En effet, l'impression à la demande est une impression numérique. Ce procédé permet d’imprimer des documents directement depuis les données informatiques sans temps de calage. Mais ce type d'impression à un défaut : sa qualité. « Aujourd'hui encore, la qualité est nettement moins bonne par rapport à une production industrielle classique. Les machines de reprographie ne font pas la couture des cahiers donc cela fait des livres collés qui ne sont pas très beaux », explique Olivier Bessard-Banquy. C'est pourquoi, certaines maisons comme la traditionnelle Gallimard, ne sont pas encore prêtes à passer sur ce genre d'impression.
La lecture de livres numériques croît lentement mais de façon régulière en France. La solution pour palier au pilon serait peut être là : ne plus imprimer de livres papier mais les lire sur un écran de plus, la liseuse. En 2015, 20 %* des français déclarent avoir lu un livre numérique sur les 12 derniers mois. Mais seul 1 % de ceux-ci serait des lecteurs exclusifs d'ebooks. La vente de livres dématérialisés reste encore marginale : ils représentent 6,5 %** du total des ventes en valeur. Un marché futur ? Pas si sûr car nombre de lecteurs tiennent à l'objet livre, à son papier, sa couverture carton, son odeur de livre neuf ou ancien...
* Xerfi, La distribution de livres
** Syndicat national de l’édition (SNE), Le livre numérique en 2015
Cette sacralisation de l’objet-livre papier tend à laisser penser que l'ouvrage imprimé a encore de longues années devant lui. Alors pas de solutions miracles pour sauver ces pauvres œuvres d'une mort brutale au fond d'une zone industrielle, seulement quelques semaines après avoir vu le jour. Revoir nos modes de consommations qui mènent à toujours produire plus et plus vite semble être l'option la plus efficace pour réduire cette autodafé titanesque. Et la prochaine fois que vous commandez une pizza, demandez-vous si dans une vie antérieure, c'était le livre de Marlène Schiappa ou un énième Marc Levy.