Autodafés et bibliocauste : on détruit bien des livres
Le désherbage des bibliothèques
Les livres invendus ne sont pas les seuls à connaître le triste sort du pilon. Les bibliothèques et en particulier les bibliothèques municipales qui fonctionnent en réseau, achètent des livres très régulièrement. « Les collections des bibliothèques publiques doivent être représentatives, chacune à son niveau et dans sa spécialité, de l’ensemble des connaissances, des courants d’opinion et des productions éditoriales. Elles doivent répondre aux intérêts de tous les membres de la collectivité à desservir et de tous les courants d’opinion, dans le respect de la constitution et des lois. Elles doivent être régulièrement renouvelées et actualisées », extrait de la Charte des bibliothèques, titre I – article 7.
Ne pouvant pas pousser les murs, ces achats s'accompagnent d'un « désherbage » régulier pour faire de la place sur les étagères. Nouveau terme, pour signifier que certains titres seront supprimés des rayonnages ou du libre-accès et pour les plus malchanceux emmenés au pilon. En général les responsables de chaque collection se chargent de faire du tri, selon différents critères. « D’abord, l’état du livre, s’il est trop abîmé, trop sale, ou avec des pages qui se déchirent. En ce moment je fais du tri dans les romans adultes, certains livres ont été empruntés une centaine de fois et ont besoin, soit d’être réparés, soit sortis des rayons et éventuellement rachetés », explique Léa Ollivrie qui travaille dans une médiathèque d'Angers. Pour ne pas mettre à la broyeuse le best-seller de la bibliothèque, les documentalistes prennent en compte la quantité d’exemplaires d’un même ouvrages dans les rayons ou dans le réseau ainsi que le nombre de fois où ils ont été empruntés ou demandés. Suite à ce savant calcul, il faut trancher : garder ou jeter.
Mais contrairement aux invendus de librairies qui doivent être dans un état irréprochable s'ils veulent retourner dans les stocks, les livres de prêt n'ont pas besoin d'avoir l'air neuf. Il est normal d'avoir des traces et imperfections sur l'ouvrage, il a fait le bonheur de dizaines de lecteurs et fera encore la joie de bien d'autres après vous. Alors, s'il est abimé, il sera raccommodé, parfois mainte et mainte fois, avant de terminer sa vie au pilon. Et même dans un piteux état, certains passeront encore entre les dents de la machine à déchiqueter : s'ils ne sont plus édités ou s'ils marquent l'histoire d'un territoire local par exemple, les ouvrages seront sortis de l'espace public mais conservés dans la réserve. Ou plutôt les « magasins » comme les appellent les bibliothécaires. Pour les irréductibles qui doivent partir à la poubelle, les bibliothèques font appel à des sociétés tels que Recyclivre ou Feuille d'Erable qui se déplacent pour récupérer leurs déchets. Mais qui dit livres de prêt, dit livres bien protégés : les documentalistes doivent avoir retiré au préalable la plastification des ouvrages ainsi que la couverture et le dos - car ils marqués par les code-barres et les antivols - , un démembrement qui prend du temps pour l'équipe. Alors, tant qu'à prendre du temps pour la seconde vie des livres, certaines bibliothèques trient et vendent en braderies leurs anciens ouvrages encore « lisibles » pour récolter quelques euros.